13 Janvier 2022
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Solitaire, physiquement éprouvant et souvent mal rétribué, le métier de camionneur ne fait plus du tout rêver les jeunes. En 2019, les conducteurs routiers entraient dans le top 5 peu flatteur des métiers les plus en tension, selon une enquête du ministère du travail. Le Conseil social, économique et environnemental (Cese), saisi par le premier ministre, doit présenter, le 12 janvier, 20 préconisations visant à répondre à la problématique du manque d’attractivité de certains métiers.
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Les camionneurs français ne sont pas les seuls à avoir perdu la cote. « On est sur un problème structurel et mondial qui s’aggrave. En 2017, il manquait 50 000 chauffeurs aux États-Unis, 80 000 aujourd’hui », explique Thomas Larrieu, directeur général d’Upply, plateforme spécialisée dans l’analyse de prix du fret et les solutions numériques. Selon un rapport de la société de conseil Transport Intelligence, publié en août dernier, la filière européenne du transport routier de marchandises manquerait de son côté de 400 000 chauffeurs, soit environ 20 % des effectifs, pour tourner à plein régime.
La Pologne est la principale victime de la pénurie avec 120 000 conducteurs qui manquent à l’appel, juste devant le Royaume-Uni (entre 60 000 et 100 000 chauffeurs) dont 30 000 travailleurs continentaux ont été forcés de quitter le pays après le Brexit. En France, 43 000 postes seraient vacants, tandis qu’outre-Rhin, 10 % des camions restent actuellement au garage.
« À ce jour, en France comme en Allemagne, la pénurie n’a pas de répercussion forte sur la santé des entreprises ou sur les livraisons, nuance Isabelle Maître, déléguée permanente de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) à Bruxelles. Mais si la reprise économique s’accélère, certains magasins pourraient ne plus être alimentés comme ce fut le cas au Royaume-Uni. »
Si l’absence de chauffeurs atteint un seuil critique aujourd’hui, c’est avant tout en raison de départs à la retraite, sans relève assurée. En Europe comme aux États-Unis, l’âge moyen du personnel tourne autour de 50 ans. « On ne trouve plus de vocations car la paye est mauvaise et les conditions de travail se sont dégradées ces dernières années », tranche Stanislas Baugé, représentant de la CGT à l’European Transport Workers Federation (ETF), le syndicat européen du secteur.
« Aujourd’hui, la réalité du métier, c’est de faire 56 heures par semaine et de se lever à 5 heures du matin sans savoir à quelle heure on va débaucher. Ça complique toute vie familiale », insiste-t-il en déplorant que « la pénurie aggrave la situation en augmentant la pression au travail ». Quant aux salaires, longtemps tirés vers le bas en raison des pratiques de dumping social, ils ne dépassent guère souvent le salaire minimum, dans les pays européens où celui-ci existe.
Dans plusieurs pays comme aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, le patronat s’est donc résigné à jouer sur cette corde. En France, les négociations ayant actuellement cours entre les partenaires sociaux vont vraisemblablement aboutir à une augmentation des minima conventionnels à hauteur de 5 % en 2022. « Entre la pression sur les salaires et la hausse des prix des carburants, le prix du transport a augmenté de 4 % en Europe en 2021 et on s’attend à une augmentation similaire pour 2022 », analyse Thomas Larrieu.
« Augmenter les salaires ne suffira pas à régler tous nos problèmes, nuance Isabelle Maître. Il nous faut attirer de nouvelles populations comme les jeunes et les femmes (aujourd’hui seulement 2 % des chauffeurs routiers sont des femmes en Europe contre 11 % aux États-Unis, NDLR)en cassant la mauvaise image du métier. »
→ CHRONIQUE. Le salaire du camionneur
Parmi les nouveaux publics recherchés, la main-d’œuvre étrangère est particulièrement convoitée par les entreprises européennes. « En février dernier, au sein de l’International Road Union(l’IRU, qui regroupe 3,5 millions d’entreprises dans le monde, NDLR),nous avons lancé un groupe de travail pour porter le message auprès des institutions européennes », détaille la déléguée de la FNTR, à l’initiative du projet. Aujourd’hui, une dizaine de pays dont la France participent à ce groupe de travail dont l’objectif est d’échanger sur « les bonnes pratiques pour attirer et former des migrants en situation régulière ».